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Le COVID-19 est-il un cas de force majeure pour l’exécution de vos contrats ?

Publié 30 mars 2020

En cette période inédite et déconcertante, les questions sont nombreuses dans l’esprit des professionnels dont l’activité est frappée de plein fouet par la pandémie Covid-19 et par les mesures gouvernementales adoptées pour l’endiguer.

L’une des questions principales et primordiales que vont se poser les professionnels est de savoir ce qu’il va se passer si leurs fournisseurs ou eux-mêmes ne peuvent exécuter tout ou partie de certains de leurs contrats.

La force majeure est évoquée.

Qui peut en bénéficier, dans quelles situations, à quelles conditions ?

 

Le Coronavirus 2019, une urgence de santé publique

Qualifiée d’ « urgence de santé publique de portée internationale » par l’Organisation Mondiale de la Santé à la fin du mois de janvier 2020[1], le Ministre de l’Économie et des Finances français, Bruno Le Maire a emboité le pas en annonçant que « L’Etat considère le coronavirus comme un cas de force majeure pour les entreprises». [2]

Pour autant, ces déclarations, tant qu’elles ne sont pas transcrites dans un texte de loi voté par le Parlement, ne contraindront pas les juges du fond qui garderont leur appréciation libre et souveraine et statueront au cas par cas lorsqu’ils seront saisis d’une affaire d’inexécution contractuelle fondée sur la force majeure.

La notion de force majeure

Le nouvel article 1218 du Code civil modifié par la réforme de 2016 dispose que :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».[3]

Ainsi, pour que la force majeure puisse être retenue, il faut que l’évènement soit imprévisible, irrésistible et insurmontable.

Les cas passés d’épidémie et de force majeure

Les juges ont déjà, par le passé, été confrontés à la question de l’application de la force majeure en cas d’inexécution contractuelle causée par une épidémie.

On peut ainsi mentionner la grippe H1N1, Ebola ou encore le Chikungunya. Dans les trois cas, la force majeure n’a pas été retenue pour justifier de l’inexécution du contrat par le professionnel.

Si, de prime abord, on pourrait penser que les juges ne sont pas enclins à qualifier une épidémie de force majeure, une lecture plus attentive de ces décisions permet de s’apercevoir qu’il s’agit plutôt d’une appréciation effectuée au cas par cas :

  • Pour l’affaire de la grippe H1N1, les juges ont considéré que le critère de l’imprévisibilité n’était pas rempli car l’épidémie avait été largement prévue et annoncée,[4]
  • Concernant Ebola, le professionnel n’avait pas rapporté la preuve d’une baisse d’activité ou d’une absence de trésorerie, ni que cette prétendue baisse d’activité était liée à l’épidémie.[5]
  • Concernant le Chikungunya, les juges ont considéré que l’épidémie n’était pas imprévisible ni irrésistible puisque le Chikungunya pouvait être « soulagé avec des antalgiques» et que rien n’empêchait le professionnel d’honorer sa prestation pendant cette période.[6]

Il ressort de ces décisions que les juges peuvent qualifier une épidémie de « force majeure » à la condition sine qua non que tous les critères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’insurmontabilité soient réunis.

Cas inédit et singulier du Covid19

Tout porte à croire, vu l’ampleur et la gravité tant de l’épidémie que des mesures gouvernementales strictes et exceptionnelles de confinement et de fermetures administratives que les Tribunaux pourraient qualifier de « force majeure » la pandémie Covid-19 et en tirer les conséquences en cas d’inexécution d’un contrat de ce fait par un professionnel, si au cas par cas, si les conditions sont réunies.

La « force majeure » constituerait en effet une solution précieuse pour toutes les entreprises (et elles sont nombreuses) qui se trouvent dans l’impossibilité d’exécuter tout ou partie de leurs contrats.

Points de vigilance

Si la force majeure est a priori une cause qui justifie l’inexécution d’un contrat, certains points pourraient constituer de sérieux écueils pour le professionnel :

  • Date de conclusion du contrat: la force majeure serait invocable pour les contrats conclus avant l’annonce des mesures gouvernementales en France, mais pas ceux conclus après.

          Exemple : une salle de sport qui commande une nouvelle machine de musculation après l’arrêté annonçant la                            fermeture administrative des salles de sport pourra difficilement invoquer la force majeure pour ne pas la payer.

  • Clause exonératoire dans le contrat: avant d’invoquer la force majeure, il faudra bien s’assurer que le contrat en question n’excluait pas expressément la force majeure. Le cas échéant, elle ne pourra pas être invoquée par le professionnel.
  • Impossibilité de l’exécution: attention, l’exécution du contrat doit être impossible. Si elle est simplement rendue plus difficile ou plus chère, elle reste possible. Dans ce cas, la force majeure n’est pas applicable. À défaut de force majeure, on peut tenter de se tourner vers la notion d’imprévision.

N’hésitez pas à nous contacter si vous avez des questions sur l’exécution de vos contrats en cours dans ce contexte particulier. Le cabinet DEGEZ KERJEAN est là pour vous répondre.

 

 

[1] OMS, Déclaration du Directeur Général de l’Organisation Mondiale de la Santé du 30 janvier 2020 sur la flambée du nouveau coronavirus 2019, url : https://www.who.int/fr/news-room/detail/30-01-2020-statement-on-the-second-meeting-of-the-international-health-regulations-(2005)-emergency-committee-regarding-the-outbreak-of-novel-coronavirus-(2019-ncov), consultée le 26 mars 2020

[2] Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, sur l’impact économique de l’épidémie de COViD-19 , à Paris le 28 février 2020, site « vie publique », url : https://www.vie-publique.fr/discours/273763-bruno-le-maire-28022020-coronavirus, consultée le 26 mars 2020

[3] Article 1218 du Code civil modifié, site Legifrance, url : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do;jsessionid=EB579BF71016BC463A31D64FF2930A3F.tplgfr42s_1?idSectionTA=LEGISCTA000032041441&cidTexte=LEGITEXT000006070721&dateTexte=20200326, consulté le 26 mars 2020

[4] CA BESANÇON, 8 janvier 2014, n° 12/02291

[5] CA PARIS, 17 mars 2016, n° 15/04263

[6] CA BASSE-TERRE, 17 décembre 2018, n°17/00739